Entretien avec

Professeur du pain

Professeur Michael Kleinert: «Chaque boulanger a besoin d’une formation sensorielle de base»

Le pain est in. On parle du pain. Une personne qui le fait particulièrement bien, c’est le Professeur Michael Kleinert. Il est considéré comme le «Professeur du pain» dans l’espace germanophone. Nous avons discuté avec lui de la qualité du pain et de l’interaction entre la boulangerie et la gastronomie.

Nina Vagli

Fascination pour la science du pain – Monsieur Kleinert, comment en êtes-vous arrivé là?
Tout d’abord, on m’a transmis l’amour du pain au berceau. J’ai grandi dans une boulangerie en Allemagne du Nord. Mes deux parents, grands-parents et arrière-grands-parents étaient boulangers. A cet égard, je porte volontiers cet héritage et j’en ai développé ma passion. Ce fut le début. Ensuite, j’ai vraiment appris le métier de boulanger auprès de mon père et j’ai passé la maîtrise. Je voulais toujours savoir ce qui se cache derrière le goût. C’est une des raisons qui ont fait qu’à 27 ans j’ai entamé des études d’ingénieur agroalimentaire, en mettant l’accent sur la technolowgie boulangère.

La sensibilisation des consommateurs aux produits de boulangerie de grande qualité augmente constamment. Comment expliquez-vous cela?
Nous avons le phénomène, propre à l’ensemble de la société, que nous souffrons d’overdose d’information. Nous nous sentons trop sollicités, il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons pas. Les gens recherchent de la clarté. Le pain est facile à comprendre. La recette – soit de la farine, de l’eau, de la levure et du sel, mais aussi d’autres ingrédients, tels que du malt ou de l’acide ascorbique –, on peut l’expliquer aux gens. La simplicité, l’authenticité du pain. Dans les médias, je vois justement un vrai buzz autour du pain. Ceci avant tout parce qu’aujourd’hui les boulangers les plus divers, qui sont parfois aussi des personnes reconverties, réussissent à commercialiser le pain de manière attrayante. Là je pense à des exemples de Zurich, comme John Baker ou le «nouveau venu» Seri Wada avec ses baguettes ou l’«Eigenbrötler» de Lucerne, mais aussi à des boulangeries modernes, telles que Richard Kuhn en Suisse orientale. Ce sont tous des types de personnes qui sont bien appréciées des consommateurs. C’est une évolution formidable.

Vous êtes contre la médiocrité et souhaitez de meilleures capacités sensorielles de la part des boulangers. Comment abordez-vous cela?
Chez nous à la ZHAW, nous observons, dans les vues d’ensemble du marché régulièrement réalisées (tests comparatifs), qu’il y a encore et toujours beaucoup de médiocrité. Pour y remédier, il faut encore plus de passion pour la production, soit ce que nous les boulangers avons en fait appris. Mais aussi de l’autocritique vis-à-vis de ses propres produits. Ces deux choses doivent à nouveau augmenter. Pour cela, il faut une formation sensorielle de base. La sensorique signifie toutefois qu’il faut se former et se reformer et toujours s’entraîner. Et cela ne s’arrête jamais. Car juste savoir que le pain sent bon, cela ne suffit plus aujourd’hui. Il faut aussi pouvoir le communiquer. Nous, les boulangers, avons encore probablement beaucoup à apprendre en matière de communication. Des events, comme le «Swiss Bakery Trophy», sont de très bons exemples comment faire connaître le pain au grand public.

Depuis 2015 vous formez des sommeliers du pain pour l’Académie des artisans-boulangers allemands. L’objectif est-il, avec cette formation d’expert du pain reconnue, d’atteindre le «niveau du vin»?
Dans tous les cas, nous devrions aller dans la direction d’être formé comme des experts en vin. Le cours de sommelier du pain fixe de nouvelles normes dans la formation sensorielle continue. Cela vaut la peine. Les participants n’obtiennent pas uniquement des capacités sensorielles, mais étendent aussi leurs connaissances sur l’importance socio-culturelle du pain et l’histoire des variétés internationales de pains. Je considère vraiment que c’est une formation capitale. Malheureusement, jusqu’à présent, nous ne sommes pas parvenus à organiser ce cours en Suisse. Nous avons, en collaboration avec Richemont, proposé un cours «Licence sensorique Pain» en 2013 et 2014. Tout à fait intéressant selon moi. Mais malheureusement avec peu de résonance – ce que je déplore fortement.

Quelles exigences la gastronomie d’aujourd’hui a-t-elle envers les boulangers?
Dans la gastronomie, il faut faire une distinction entre les hôtels et les restaurants classiques et la restauration collective ou rapide. Pour les hôtels et les restaurants, le boulanger devrait impérativement tenir compte du fait que ces établissements sont très souvent soumis à des fluctuations saisonnières. Il doit de ce fait pouvoir livrer en fonction des besoins. Et la livraison de produits congelés peut être un moyen. Mais pour cela le boulanger doit impérativement maîtriser le processus de congélation. Mais plus important encore: il doit former le personnel de cuisine de manière professionnelle sur le thème du passage au four. Là, on peut faire beaucoup d’erreurs. Je connais en outre de bons exemples en Allemagne, où des boulangers et des restaurateurs d’hôtels de choix organisent des events autour de la saveur du pain. Ils se font ainsi connaître ensemble, à un niveau premium. Avec beaucoup de succès. Avec toujours à l’esprit que le régionalisme est une des grandes tendances. Le client doit savoir que le pain servi vient du boulanger de la région et est produit avec des matières premières de la région.

Professeur Michael Kleinert

Le maître-boulanger qualifié et ingénieur agroalimentaire s’occupe, depuis son apprentissage, du goût et de l’avenir des produits de boulangerie. Ses plus grandes préoccupations sont le développement de la qualité, l’expérience gustative et la diversité des arômes. Il enseigne cela, en sa qualité de directeur de l'Institut pour l’innovation dans le domaine alimentaire et des boissons, à la ZHAW à Wädenswil.