Le pain comme vecteur de terroir et de tradition
Parfois, il se verrait bien boulanger: Pascal Schmutz, excellent cuisinier indépendant, récompensé par 16 points au Gault Millau, est aussi un créateur passionné qui aime inventer de nouvelles recettes. Avec ses créations boulangères originales, ce pionnier s’est aussi fait un nom en dehors de la scène gastronomique. Nous l’avons interrogé sur l’importance des produits régionaux et du pain dans la restauration.
Quelle place le pain occupe-t-il dans tes plats?
Depuis que je cuisine, le pain est un élément essentiel dans mes plats et mes créations. Le proverbe «Il n’y a pas de deuxième chance pour la première impression» se vérifie tous les jours dans la restauration: le pain est la première chose que le client reçoit sur la table, il doit donc refléter l’image du restaurant.
Que penses-tu du potentiel du pain dans la restauration?
Le pain peut créer la surprise. Il renseigne aussi le client sur le style de cuisine et le restaurant. Quand je prépare des plats, j’aime introduire ma cuisine au client par le biais du pain, car il reflète à la fois la tradition boulangère et les personnes impliquées, mais aussi toute une région.
Selon toi, quel est l’intérêt de servir du pain «suisse» à tes clients?
Quand mes clients mordent dans un morceau de pain frais, ils doivent se sentir à la maison, cela doit leur rappeler leur terroir et leurs origines suisses.
Pour toi, qu’est-ce qui fait un bon pain?
Le pain que l’on sert doit impérativement être goûteux, frais et croustillant. Les recettes créatives sont toujours appréciées, on doit aussi pouvoir sentir et admirer le travail artisanal qui se cache derrière chaque produit. La présentation joue également un rôle; le plaisir des yeux est essentiel!
© Valeriano di Domenico
Cela fait longtemps que tu développes ton propre pain. Mais tu ne le fais pas toi-même – Comment t’y prends-tu et qui prépares ton pain?
On ne peut pas fabriquer soi-même tous les produits phares. C’est une question de temps, mais aussi d’expérience et de savoir-faire. En collaborant avec moi, le boulanger ne fait pas qu’apporter son expérience de longue date, il offre aussi son histoire et sa tradition. Nous apprenons l’un de l’autre et conjuguons nos efforts pour obtenir un résultat culinaire inédit.
Qui sont tes partenaires?
Comme mes projets ne se cantonnent pas à une seule région, je suis amené à rencontrer de nombreux boulangers. Je privilégie le travail avec des boulangers suisses dans chaque région. Le parcours depuis la boulangerie jusqu’au restaurant doit être le plus court possible; c’est pourquoi je développe des partenariats régionaux et n’interviens que très rarement dans le travail du boulanger. Rendre hommage aux régionalités est primordial pour moi.
Tu inventes aussi des pains spéciaux, notamment avec de la truite fumée. D’après toi, est-il possible d’associer clairement un pain à un plat?
J’aime associer des saveurs. Quand je sers plusieurs pains, j’ai tendance à en proposer deux très traditionnels et les autres, des créations plutôt osées comme ma célèbre recette autour de la truite. Il est important de mettre en lien pain et région. Quand j’associe de l’eau des gorges du Rhin avec de la truite, cela confère au pain une saveur exquise et invite les clients à s’imaginer eux aussi sur les bords du Rhin.
Créations de pains de Pascal Schmutz. En dessous le pain bleu avec truite fumée et de l’eau des gorges du Rhin. © Pascal Schmutz
Sers-tu du pain tout au long du repas et pas seulement en entrée?
C’est comme on veut. Le pain peut accompagner seulement quelques plats ou chaque service. Les restes de pain peuvent même entrer dans la composition de plats. Mes créations dépendent des circonstances. Si je veux réveiller mes clients après une rude journée de travail, je leur propose par exemple un pain au poivre de Sichuan.
Pourquoi les clients apprécient tant ton pain?
Mes clients adorent faire de nouvelles expériences et apprécient l’attachement à la tradition et à la qualité que je transmets par le biais du pain. Avec mes créations, j’ai à cœur de proposer à mes clients une expérience gustative inédite. Je rêverais de pouvoir fabriquer un pain du bonheur. A chaque bouchée, le client se sentirait heureux!
© P. Dduschletta
Qu’est-ce qui est important pour toi quand tu sers du pain? Existe-t-il un rituel particulier dans la façon de le présenter? Qu’est-ce qui devrait être servi avec?
Les façons de servir sont multiples. Selon la création, on peut l’accompagner d’huile fraîchement pressée, de sel spécial ou de beurre frais d’alpage. J’aime tout particulièrement tartiner du seré sur du pain frais et croustillant – c’est simple, mais délicieux. Parfois, moins c’est mieux (rires).
L’histoire a une importance capitale: le personnel de service doit savoir pourquoi tel ou tel pain est servi et quelle en est l’histoire. Je n’ai jamais servi deux fois le même pain au cours d’un projet.
Que devient le pain que tu n’utilises pas?
J’essaye autant que possible d’éviter le gaspillage. Ainsi, il peut arriver que je serve une boule de glace à la vanille sur de la croûte de pain; ces deux saveurs s’harmonisent à merveille. Durant la chasse, je remplace les spätzli par du pudding au pain fait à partir de restes. La soupe au pain est également une excellente entrée. Le pain offre tellement de combinaisons possibles que je ne comprends pas les gens qui le jettent.
Selon toi, quels sont les avantages d’un label «Pain suisse»?
Les labels sont synonymes de sécurité pour la restauration et le consommateur. Ils sont aussi gages de qualité et d’artisanat. La tradition doit perdurer et traverser les époques, si elle ne veut pas risquer de disparaître. Nous devons lutter contre l’industrialisation dans la cuisine et opérer un nouveau tournant dans la boulangerie. Le label est là pour souligner la qualité, la tradition et l’artisanat.
Parfois, j’aimerais bien être boulanger. L’odeur du pain suisse qui sort du four me ramène au terroir et à la tradition!
Excellent cuisinier indépendant, récompensé par 16 points au Gault Millau, ses nouvelles créations trouvent leur inspiration dans la nature suisse. Sa cuisine est authentique, locale et ancrée dans la tradition, mais aussi originale, colorée, curieuse et expérimentale. Au fait des nouvelles tendances, il fait figure de talent créatif sur la scène gastronomique suisse.