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Le «pain à partager» dans la restauration

Pain partagé, plaisir redoublé

Plus qu’une bagatelle: pour les restaurateurs, le pain servi aux repas contribue de plus en plus au succès d’un établissement. Un pain à partager à table permet de surprendre ses invités avec quelque chose d’inhabituel.

Wolfgang Fassbender

Le concept du restaurans Igniv n’est plus un secret pour personne. Les succursales de Bad Ragaz, St. Moritz et depuis peu Zurich, fonctionnent toutes selon le même principe: le plat arrive sur plusieurs assiettes à partager entre les convives, qu’ils soient deux, trois, quatre ou cinq. Chacun prend ce qu’il veut, un peu plus de ceci, un peu moins de cela, et à la fin, tout le monde est content! Naturellement, le pain est lui aussi partagé. La baguette maison et la brioche servie en apéritif s’y prêtent parfaitement.
Le principe des mets à partager est très en vogue dans la restauration – et ce genre de concept s’en fait l’ambassadeur. Cette tendance est relativement nouvelle dans la gastronomie européenne mais déjà fortement ancrée dans d’autres cultures. Les restaurants libanais, avec leurs nombreuses assiettes de «mezze» sont un exemple incontournable de la nourriture partagée. Un délicieux pain libanais trône au milieu de la table et si l’on en veut davantage, il suffit de demander.

Une baguette rustique aux olives et aux tomates séchées pour l’apéro (Image: Association Pain Suisse)

Le pain devient une attraction et un sujet de conversation

Bien sûr, tous les convives ne vont pas aussi loin que les gourmets de Beyrouth ou les visiteurs de l’Igniv. Rien ne les y oblige. Même en servant une assiette unique et bien remplie à chaque invité, le pain à partager, placé au centre de la table offre une occasion rêvée de rompre avec les habitudes de la dégustation individuelle. Chacun prend un morceau, l’atmosphère se détend, et les langues se délient. Le pain à partager c’est aussi l’occasion pour le restaurateur de mettre ce produit en valeur avec une présentation originale. Pourquoi se contenter d’une assiette avec des tranches précoupées alors qu’il y a plein d’autres possibilités? Le restaurant Ecco à Ascona présente depuis longtemps déjà son pain au malt très sombre comme un rituel pour commencer le repas. Le pain est présenté dans une boîte, accompagné de beurre fouetté et de cresson en pot, que chaque convive peut couper lui-même avec une paire de ciseaux. Si relativement peu de restaurants reprennent l’exemple du pain noir, les variantes de pain clair à partager ne manquent pas. Au restaurant Söl’ring Hof sur l’île de Sylt, le pain aux pommes de terre posé au centre de la table fait des adeptes. Doublement étoilé au Guide Michelin, cet établissement offre l’une des meilleures tables du nord de l’Allemagne. Au restaurant triplement étoilé «Château de Schauenstein» à Fürstenau, c’est dans un petit sac en lin que le pain encore chaud est mis en valeur. Chacun se sert jusqu’à la dernière miette et quand le sac est vide, on en ramène un nouveau. Une façon de choyer les clients et de les mettre à l’aise. Inconsciemment, les invités et les hôtes reprennent ainsi la coutume du pain et du sel, vielle de plusieurs siècles, et pratiquée lors d’un mariage ou de l’emménagement dans un nouveau foyer.

Différents pains bis et complets: à déguster avec un peu de beurre (Image: Association Pain Suisse)

Summum de l’originalité: la pâte au lieu du pain

Les uns mettent le pain au centre de la table et se font un plaisir d’expliquer aux convives qu’ils n’ont qu’à se servir. Une méthode efficace non seulement pour fidéliser la clientèle mais aussi pour épargner du travail au personnel de service. Les autres apportent le pain entier à table et le présentent aux convives avant de le trancher. Nombreux sont les grands restaurants français qui procèdent de cette façon. D’autres encore, poussent l’originalité jusqu’à mettre sur la table, non pas le pain sorti du four, mais le pâton en train de lever. Tel est le pari relevé par le restaurant trois étoiles St. Hubertus, dans le Tyrol du Sud, où chacun peut admirer le pâton en pleine pousse posé sur la table, avant qu’il ne se soit débarrassé et remplacé par un pain chaud et croustillant, tout juste sorti du four. Un moment fort du repas que de nombreux invités s’amusent à filmer avec leur téléphone. Dans le restaurant gastronomique After Seven à Zermatt, j’ai même assisté à la cuisson devant mes yeux d’un petit pain apporté dans un moule brûlant. L’attente imposée aux invités avant de pouvoir savourer la première bouchée de pain fait visiblement partie du spectacle. C’est le moment de se rendre compte que savoir attendre son pain est aussi essentiel que le déguster ou écouter l’histoire racontée à son sujet.

Partage à l’ère post-corona, la question de l’hygiène

La logique du repas est aussi un aspect que les restaurateurs doivent garder à l’esprit. Si le pain est destiné à être partagé, il doit être prédécoupé. Obliger les convives à empoigner le pain pour en prendre chacun un morceau n’est ni attrayant ni hygiénique. A l’ère de la gastronomie post-corona, cet aspect jouera également un rôle central. La question de la durabilité ne doit pas non plus être sous-estimée. Combien de petits pains servis dans un corbeille pour plusieurs invités, comme c’est encore souvent le cas, sont finalement jetés, parce qu’une partie d’entre eux ne voulait pas manger de pain? Le pain entier partagé entre plusieurs convives permet de réduire le gaspillage: un argument de poids pour les restaurateurs visionnaires.

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