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Le levain, un agent levant séculaire

L'arrivée en force du levain

Il existe plusieurs recettes de pain qui, pour certaines, demeurent inchangées depuis des siècles. Un seul aspect les rapproche: elles ont toutes besoin d’un agent levant.

Virginia Beljean

Le retour du levain

Outre la farine, le sel et l’eau (ou un autre liquide), la réussite d’un pain est fortement liée à la présence d’un agent levant. Relégué aux oubliettes ces dernières décennies au profit de levures boulangères moins laborieuses, le levain connaît aujourd’hui un véritable renouveau.


Préparation du levain chef. © Richemont

Entretenir un levain est exigeant et prend du temps (voir Infobox). Avec l’introduction des levures boulangères, le savoir-faire en matière de préparation du levain a presque disparu et son intérêt de même que son utilisation ont progressivement diminué. Depuis les années 50 en particulier, de nouveaux procédés ont été développés pour préparer le pain rapidement et à moindre coût. Toutefois, le levain fait partie du patrimoine culturel suisse et connaît actuellement une vraie renaissance. Les propriétés aromatiques et nutritionnelles des produits de boulangerie à base de levain reprennent du galon dans l’alimentation moderne soucieuse de préserver la santé: de plus en plus de boulangers réutilisent cet agent levant traditionnel.

Le levain – l’âme de la boulangerie

Les agents levants tels que le levain et la levure boulangère sont donc indispensables pour réussir un pain. Ils permettent à la pâte de «lever», autrement dit de s’assouplir, opération indispensable à l’obtention d’un pain digeste; si une pâte ne fermente pas ou pas assez longtemps (1 à 2 heures), elle n’arrive pas à décomposer l’acide phytique et empêche l’absorption et la métabolisation des sels minéraux par l’organisme. Le pain ne lèvera pas et sera peu voire pas du tout digeste.

Le choix du liquide utilisé influence le levain chef (voir Infobox sur la préparation du levain), c’est pourquoi chaque levain fonctionne à sa façon – sans compter que la qualité de l’eau et son degré de dureté varient d’une source ou d’une fontaine à l’autre et ont eux aussi un rôle à jouer dans la microflore de la pâte. Ce n’est donc pas pour rien que le levain fait la fierté d’un boulanger et est le cœur d’une boulangerie.

A l’occasion d’un cours, également ouvert aux personnes qui souhaitent se réorienter, des experts de l’Ecole professionnelle Richemont proposent une introduction à la préparation du levain.


Un boulanger en plein travail. © Victor Rodriguez Iglesias

Le levain – aromatique et sain

Le retour du levain n’est pas sans rapport avec le retour aux produits régionaux et à une alimentation saine, puisqu’il est composé de bactéries lactiques et de levures responsables de la fermentation. La formation de dioxyde de carbone qui en résulte détend la pâte tout en améliorant l’arôme, le goût et la conservation du pain.

Par ailleurs, un levain longuement fermenté rend le pain encore plus digeste. Plus la pâte fermente longtemps, plus l’amidon peut être décomposé par les enzymes naturellement présentes. L’amidon est également responsable de la rétention d’eau dans la pâte. Plus il est en quantité importante, plus l’eau sera retenue. Conséquence: le pain est sec et friable, il n’a pas de goût et est moins digeste.


Un pain au levain croustillant. © Jonathan Pielmayer

Le levain est capital dans l’utilisation de la farine de seigle. Contrairement à la farine de blé avec laquelle on peut aussi utiliser de la levure boulangère comme agent levant, le seigle a besoin d’un apport en acide pour que le pain ne reste pas plat. Les bactéries lactiques contenues dans le levain produisent justement cet acide sous forme lactique et acétique. Les bactéries lactiques renforcent l’arôme et rendent le produit élastique.

L’utilisation du levain diffère également d’une région à l’autre. Tandis que l’on utilise de la farine de seigle ou de blé pour le pain suisse au levain, les boulangers allemands et autrichiens travaillent presque exclusivement avec de la farine de seigle. Plus on va dans le sud, moins le seigle pousse. On remplace donc la farine de seigle par de la farine de blé plus claire, pour fabriquer la traditionnelle baguette française par exemple, avec du levain de blé.


Bon appétit! La baguette française traditionnelle est fabriquée avec du levain de blé. © Pixabay


Préparation du levain

Le levain est un agent levant composé de microorganismes actifs ou réactivés (bactéries lactiques et levures en particulier). L’ajout de produits céréaliers et d’eau au levain entraîne une formation constante d’acides. En plus de levures, des bactéries lactiques se développent, qui produisent des acides lactiques (homofermentaires) et acétiques (hétérofermentaires). Les bactéries hétérofermentaires produisent une petite quantité de dioxyde de carbone qui, conjointement au dioxyde de carbone induit par la fermentation alcoolique, forment un gaz de fermentation et permettent la pousse, indispensable à la réussite d’un pain. On peut remplacer le levain par de la levure pour faire lever son pain. L’obtention d’un levain chef fonctionnel dure au moins une semaine; plus le levain fermente longtemps, plus le pain sera goûteux et digeste. Le processus de «fermentation du levain» dans la pâte englobe des critères de temps, de température et de proportion entre les ingrédients. Le levain chef est un reste de levain conservé pour une utilisation ultérieure. Il peut être systématiquement prélevé du pâton préparé pour la fabrication du pain ou être entretenu et rafraîchi séparément. Il convient de l’amalgamer tous les sept à dix jours au plus tard avec la même quantité de farine et d’eau pour le rafraîchir.
Un levain utilisé une fois peut être réutilisé à l’infini comme levain chef. Pour cela, il suffit simplement de le «nourrir» avec de la farine et du liquide, toutes les semaines voire toutes les deux semaines. On utilise généralement de l’eau comme liquide, dans la mesure où la flore de base est déjà présente.


La fermentation du levain

L’acide phytique est une substance que l’on trouve principalement dans les couches périphériques et dans le germe des céréales. Combiné aux sels minéraux, l’acide phytique est difficilement soluble. Cet aspect rend difficile, voire impossible l’absorption des sels minéraux comme le calcium, le magnésium, le zinc et le fer, importants pour l’organisme humain. La nature a donc prévu une enzyme naturelle, nommée phytase, qui empêche l’acide phytique de se lier aux précieux sels minéraux. Cette enzyme se fixe précisément là où l’on trouve la plupart des acides phytiques, à savoir dans le germe et le son.
La phytase n’est activée qu’après un long travail de fermentation du levain et de ramollissement de la pâte. La vitamine C naturellement contenue dans les fruits frais (pommes, poires, agrumes) a elle aussi la capacité de désactiver l’acide phytique, ce qui permet d’obtenir un produit final consommable et digeste.


© Image d’en-tête Nathan Dumlao